Dans cet article, vous découvrirez que la marche pèlerine n’est pas toujours synonyme de religion. En vous donnant un aperçu de l’expérience spirituelle qu’apporte la marche pèlerine, vous en apprendrez plus sur ce qui la distingue de la randonnée.
«La marche est une lecture du lieu qui prélude à la compréhension inépuisable de soi.»
– Henry David Thoreau
La marche pèlerine: au-delà de la religion
Le modèle Compostelle ayant fait tomber le cadre exclusif d’une spiritualité associée aux cadres traditionnels de la religion, il devient évident que cette pratique de marche bien particulière, qu’est la marche pèlerine, interpelle au-delà de la religion par les effets qu’elle provoque. En s’inspirant de ce modèle, ainsi que de l’expérience de ces marches au long cours, le centre Bottes et Vélo – le pèlerin dans tous ses états! a formulé une approche de la marche pèlerine en termes d’exercice spirituel suscité par l’expérience du mouvement.
Bon nombre de personnes pensent se lancer dans un pèlerinage en s’équipant à la fine pointe de la technologie. Alors qu’elles passent des heures à s’entraîner, l’expérience ne se situe pourtant pas du côté de la performance physique. Ce n’est ni le contenu du sac à dos, ni le type de chaussures, ni la rigueur de l’entraînement, ni la connaissance du chemin, qui font entrer le marcheur dans l’univers pèlerin, pas plus que lieu. L’aventure pèlerine se joue sur un autre plan. Elle nait d’une certaine expérience du mouvement qui se manifeste dans ce qu’elle touche, déplace et transforme, celui ou celle qui s’y adonne.
À quel moment la marche devient-elle pèlerinage?
À quel moment cette promenade, cette randonnée, ce trek deviennent-ils une expérience spirituelle? Plusieurs vecteurs concourent à faire d’une marche un pèlerinage; effort et durée semblent toutefois déterminants dans le processus. Alors que l’effort soutenu et répétitif vient rompre les résistances somatiques et psychiques de la personne, la durée ouvre un espace qui favorise une relecture de vie, par conséquent une reconfiguration du sens de sa vie dans le cadre plus vaste de la Vie. D’un tel travail découle ce que l’on nomme : spiritualité.
Ces ingrédients en place, un espace au potentiel pèlerin est créé. Cette marche n’est cependant pas encore un pèlerinage. Il manque «quelque chose». Quelque chose qui relève de l’expérience, du ressenti, du mouvement intérieur. Le pèlerinage a une saveur bien particulière et se reconnait au goût qu’il laisse. Mais comment décrire le parfum de l’églantier? Comment décrire la sensation d’un saut en bungy? Comment décrire la satisfaction du travail accompli? Les mots nous manquent inévitablement. On ne peut que parler autour, pointer dans une direction, évoquer ce qui s’en rapproche.
L’exercice pèlerin est dérangeant. C’est sans doute ce qui le distingue le plus de la randonnée. La structure de l’exercice impose d’elle-même cette rupture qui passe par un nécessaire « quitter » : quitter sa demeure, son quotidien, ses routines. Elle nous sort de l’usuel et nous plonge dans l’inédit. Or, si le pèlerin se met en marche, c’est parce qu’il consent à cette mise à distance. Sans cette rupture, le pèlerinage n’existe pas. Pour Elizabeth Tisdell : «Le pèlerinage […] implique un voyage et un but, où une partie de ce but est le mouvement lui-même tout au long du voyage, passant du familier vers autre chose jusqu’à ce que cet autrement soit intégré dans une nouvelle perception de soi». Par ce mouvement, le pèlerin s’engage dans cet espace que l’on appelle communément le «chemin», cet espace qui offre la possibilité de relire – faire une lecture nouvelle – de sa manière de vivre et d’être en relation.
L’expérience spirituelle du pèlerinage
Le pèlerinage est l’expérience même d’être déplacé vers une version actualisée et meilleure de soi-même. Passant d’un lieu à un autre, traversant des zones de ballottage, d’instabilité et d’incertitude, générant remise en question et réorganisation des référents intérieurs, le pèlerin chemine. Ce sont les «pas sages», ces pas faits avec sagesse, avec discernement, qui contribuent à faire tomber ses barricades. Alors qu’ils ouvrent une brèche et jettent une lumière différente sur ce qu’il avait cru voir, les sages pas du pèlerin le révèlent à lui-même.
La manière de passer d’un lieu à un autre parle ainsi bien plus qu’on ne pourrait l’imaginer. En reliant des lieux entre eux, les pas du pèlerin racontent une histoire. Ils écrivent, gribouillent, raturent, sur les pages de son chemin. «Les pas du pèlerin sont comme le doigt du lecteur: ils suivent un parcours qui relie des éléments, créant ainsi un chemin porteur de sens. […] Les pas du pèlerin circulent sur le texte de l’univers dans lequel il avance, reliant entre eux des lieux qui élaborent une histoire, laquelle transcende le chemin concret. Tout comme la lecture d’un roman éveille l’esprit, engendre des images, ranime des souvenirs, déclenche des idées nouvelles et fait réfléchir, la lecture du chemin éveille le pèlerin et le déplace autant physiquement que spirituellement»*
«Marcher, tout comme pèleriner, relève d’un art de lire. Le marcheur est le lecteur du chemin qu’il effectue. Ainsi, pour un même chemin, il existe une multitude de lectures possibles. Chacun lit à partir de ce qu’il est, avec l’émotion qui le porte, accompagné par l’élan qui oriente ses pas. Ainsi, le marcheur fait une lecture des lieux qu’il traverse en construisant, souvent inconsciemment, du sens, un sens qui lui est propre et qui est teinté par cette lecture sensorielle et sensible. En effet, le lecteur effectue sa lecture en se référant continuellement à son parcours de vie. Il puise dans son histoire personnelle pour construire des liens et tracer une trajectoire signifiante.»*
Tous ces souvenirs, tout ce vécu sensible, constituent l’expérience du chemin. Celle-ci invite à renoncer aux barricades personnelles, à se laisser toucher et à éprouver la saveur du chemin dans tout son être. En cela, l’expérience est concrète. Elle permet d’acquérir une connaissance pratique de la vie. Le goût laissé par cette expérience appelle au partage et incite à rester dans le mouvement. Le récit en est incontournable. C’est par ce récit qu’advient le pèlerinage et que le processus transformateur peut s’accomplir. Sans lui, le moment finit par s’étioler et s’éteindre lentement. Le récit est celui d’un ressenti, d’une expérience bouleversante qui appelle des mots sans pouvoir la saisir.
Aussi pour aller au bout de cette aventure, s’il est possible d’en voir la fin, le pèlerin a-t-il besoin d’être entendu. Ainsi, la marche devient pèlerinage par le récit de cette saveur qui rappelle inlassablement à elle. C’est dans l’acte de relecture de son aventure pèlerine, lorsqu’il racontera le chemin parcouru, que l’expérience se concrétisera pleinement. Il est à noter que ce n’est pas le chemin qui est à raconter, mais bien le cheminement. D’où l’importance de faire le récit de son pèleriné et d’entendre ce que ses « pas » ont à raconter.
Le pèlerin doit pouvoir comprendre comment cette marche l’a provoqué dans tout ce qu’il est. Il doit décoder comment il lit le chemin. Car c’est dans l’après-coup de sa lecture que le pèlerin saisit véritablement l’essence de cette marche transformatrice que fut son pèlerinage. C’est en revisitant son déplacement, le chemin intérieur parcouru, qu’il peut entendre ce qui s’est passé et que l’expérience prend tout son sens.
Par Brigitte Harouni et Éric Laliberté
N.B : Brigitte et Éric accompagneront le voyage suivant avec Spiritours: «L’audace de vivre en cohérence» dans les Rocheuses (Ouest canadien) du 9 au 16 mai 2022