Dans cet article, découvrez l’origine du fameux Jeu de la Passion d’Oberammergau et explorer plus en détail son évolution au cours de l’Histoire. Vous en apprendrez davantage sur ce célèbre événement religieux et culturel qui a lieu tous les 10 ans dans ce village bavarois en Allemagne.
Ce qui frappe d’abord en pénétrant au cœur d’Oberammergau ce sont les « Lüftlmalerie » ou maisons aux façades peintes, le plus souvent de motifs religieux. Celles-ci témoignent de la ferveur des Bavarois du 18e siècle. Mais pour la plupart d’entre nous, le nom de cette petite ville (population : ± 6 000 habitants) évoque le célèbre Jeu de la Passion (« Passionspiele »), représenté fidèlement depuis 1634.
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Comment est né le Jeu de la Passion d’Oberammergau?
En 1633, en plus de subir les affres de la guerre de Trente Ans, la population d’Oberammergau était ravagée par la peste qui au cours de quelques mois avait fait 84 morts, soit environ la moitié de la population du village. Les édiles firent alors le serment d’effectuer tous les dix ans un « Jeu de la souffrance, la mort et la résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ » si le « Tout-puissant » (« der Allmächtige ») détourne le mal du village. L’année suivante, dès la Pentecôte 1634, ils remplirent leur engagement pour la première fois, car le fléau avait cessé miraculeusement. On y joua alors la Passion du Christ sur une scène qu’on avait installée dans le cimetière au-dessus des tombes des victimes de la peste, car l’église du village était trop exigüe pour accueillir l’ensemble des personnes présentes. Au cours des premières années, la pièce a été présentée chaque année. Ce n’est qu’en 1680 qu’on a décidé de ne la jouer que tous les dix ans. Soixante comédiens participaient alors à la production dont le scénario avait été écrit par un moine du monastère bénédictin voisin d’Ettal.
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Les rares exceptions de cet événement
Au XVIIIe siècle, le cimetière étant devenu trop petit pour accueillir une assistance croissante, la scène a été transférée dans un champ situé à proximité. Vers 1830, une construction permanente a été édifiée sur le site du théâtre actuel et par la suite, plusieurs bâtiments dédiés à cet événement se sont succédé répondant ainsi aux besoins sans-cesse grandissants d’une présence de plus en plus nombreuse. De nos jours, le théâtre de la Passion (« Passionstheater ») peut accueillir plus de 4 700 spectateurs à l’abri des intempéries.
Subséquemment, les représentations se sont succédé fidèlement aux dix ans avec peu d’exceptions. Le report des productions de 2020 à 2022 n’est que la quatrième interruption en 388 ans d’histoire. Auparavant, le 31 mars 1770, l’électeur Maximilien III a demandé à son Conseil clérical d’interdire toutes les Pièces de la Passion sous prétexte que « la scène théâtrale n’est pas un lieu pour le plus grand secret de notre sainte religion. » La représentation de 1920 fut repoussée à 1922 à cause de la Première Guerre mondiale, et celle de 1940 fut annulée à cause de la Seconde Guerre mondiale.
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Comment a évolué le Jeu de la Passion d’Oberammergau?
Le Jeu de la Passion n’était pas chose nouvelle lors de la première production à Oberammergau en 1634. Son origine remonte au Moyen-Âge où il est d’abord joué en Latin et par la suite en langue vernaculaire. Au XIIIe siècle on ‘jouait’ la Passion au monastère de Benedictbeurn (Bavière), et au XIVe siècle devant le parvis des cathédrales un peu partout en Europe. Et dès ses origines, il comportait en plus des textes, des chants et hymnes religieux populaires parfois composés pour la circonstance. Le scénario du Jeu de la Passion a connu une évolution constante tenant compte des us et coutumes locales. Il en va de même à Oberammergau. Le texte qui y a d’abord servi était basé sur les manuscrits médiévaux dont le contenu avait été compilé au XVe siècle.
En 1800 un changement massif est survenu. On était alors passé des versets à la prose, ce qui a rendu la performance plus réaliste et facile à comprendre. Depuis les années 1960, le texte et la musique ont été revus, de même que la scénographie et les costumes. En 1980, un mouvement de modernisation du Jeu de la Passion est lancé et des modifications mineures sont apportées au texte. En 1990, une nouvelle ère a commencé avec une réforme fondamentale du Jeu de la Passion. Le scénario a été soigneusement revu et révisé pour éviter toute référence antisémitique. À même temps, la musique a également été modernisée. Aussi, le droit de participation comme figurants a été étendu aux personnes de toutes les religions vivant à Oberammergau. Avant 2000, seuls les citoyens chrétiens nés et vivant depuis au moins 20 ans à Oberammergau étaient autorisés à participer à la pièce. Pour le spectacle de 2000, le scénario et la mise en scène ont été de nouveau modifiés de façon approfondie. Dans cette version de la pièce, la judéité de Jésus a été davantage soulignée. Par exemple, celui-ci portait une kippa (couvre-tête juif), était appelé « rabbin » et priait en hébreu. De plus, dans ce scénario, Judas trahit Jésus pour des raisons politiques, alors que dans les versions précédentes il le fait pour de l’argent. Aussi, le caractère du personnage de Pilate a été revu de façon à le rendre plus conforme à sa réalité historique. En 2010, la conception des textes et des ensembles a été à nouveau révisée pour adopter un langage plus clair et plus visuel. Une nouvelle production voit alors le jour avec l’assistance de professionnels du théâtre et du monde musical de Munich.
Depuis février 2021, tous les aspirants qui souhaitent participer au Jeu de la Passion ont cessé de se raser et de se couper les cheveux, et au printemps on leur a annoncé les noms de tous les participants. Les répétitions ont commencé à plein régime à l’automne 2021. Jusqu’à 2 000 habitants d’Oberammergau sont engagés dans la production du Jeu de la Passion de 2022.
La pièce commence à 14h30 et se termine à 22h30 avec une pause pour le repas du soir. Les représentations ont eu lieu du 14 mai au 2 octobre 2022. Le texte est en allemand, et les visiteurs reçoivent une copie du script en plusieurs langues.
Plusieurs grandes personnalités de l’histoire ont assisté aux représentations d’Oberammergau. En septembre 1871, le roi Louis (Ludwig) II de Bavière a été si impressionné par le Jeu de la Passion qu’il a offert à la communauté une grande sculpture, le groupe de crucifixion. Les compositeurs Franz Liszt et Richard Wagner ainsi que la reine Sissi d’Autriche et le roi Édouard VII d’Angleterre y sont venus. Pour sa part, Adolf Hitler a vu la pièce en 1930. Je vous fais grâce de ses commentaires…
Quelle est la place de la foi dans le Jeu de la Passion d’Oberammergau?
Il convient de revenir à la première désignation de cette pièce-devenue-tradition : «Jeu de la souffrance, la mort et la résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ». Dans le contexte de la Guerre de Trente Ans (parfois désigné comme le pire conflit de l’histoire de l’humanité), ainsi que de la peste qui ravageait alors l’Europe, on comprend que les gens du village d’Oberammergau de 1633 traversaient une crise qui les confrontaient à la réalité concrète de la souffrance et de la mort. On peut se référer à ce que nous vivons dans le contexte de la Covid mais en pire, car environ la moitié de la population (parents, amis et proches) avaient péri. Cependant, eux n’avaient ni les explications scientifiques, ni les remèdes ou antidotes qui nous sont offerts. Et même nous qui sommes bien informés et nourris de la confiance dans les découvertes médicales et scientifiquess, nous nous posons beaucoup de questions quant à l’origine, les conséquences et le sens de la présence de ce fléau dans notre monde. Pour les habitants d’Oberammergau (comme ceux de toute l’Europe de l’époque), ce phénomène rejoignait les pensées les plus profondes au niveau du sens de la vie et de la mort. Les seules ‘explications’ qui pouvaient surgir se situaient au niveau de la foi, dans une réflexion sur la volonté de Dieu qu’on a mal à comprendre même dans le contexte religieux de l’époque. «Nous souffrons l’inexplicable; faisons appel à notre Dieu lui aussi souffrant – le Jésus qui a connu la souffrance et la mort.» Rien de plus ‘logique’ que de faire appel à Dieu incarné en Jésus… souffrant qui seul peut y donner un sens d’où l’importance de la couleur ‘souffrance’ de la pièce.
Mais il s’est mêlé à cette pratique les croyances, préjugés, étroitesses de toutes les époques à travers lesquelles le Jeu de la Passion a évolué, particulièrement au niveau de la conception des ‘responsables’ de la mort de Jésus. Celles-ci ont été héritées de la pensée et de la pratique religieuse formée par une tradition séculaire, préjugés nés et véhiculés à partir de vécus concrets religieux, politiques et sociaux. Des couleurs nettement antisémitiques se sont tissés dans la texture même de la pièce au point où Hitler s’en réjouissait. Subséquemment, au cours des dernières décennies, la production du Jeu de la Passion on a choisi de le parrainer par un comité œcuménique composé de chrétiens et de juifs, et au cours des années, les éléments discordants ont été radiés de la pièce.
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«Le Jeu de la souffrance, la mort et la résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ»
Mais le titre abrégé de cet événement risque de nous faire oublier la dimension ‘résurrection’ du Jeu de la Passion. Tout comme la Guerre de Trente Ans et la peste on conduit à un changement profond dans la vie des habitants d’Oberammergau, ceux-ci en sont sortis terriblement blessés (individuellement et collectivement) … mais aussi ‘renouvelés’ en quelque sorte. Et la communauté et les personnes qui la composaient ont dû se refaire et rebâtir pour continuer à vivre. Comme participants-spectateurs du Jeu de la Passion, n’y a-t-il pas une réflexion à laquelle nous sommes invités … celle d’envisager une ‘résurrection’ qui suivra cette mort-Covid (personnelle et communautaire) dans laquelle nous baignons présentement. Et n’en est-il pas ainsi au niveau de toutes ces petites (et grandes) morts que nous vivons au quotidien ? Il importe de ne pas oublier que chacune de ces morts mène à une résurrection.
L’intérêt au Jeu de la Passion a évolué. Les raisons qui motivent les auditeurs sont aussi variées que leur nombre. Certains y retrouvent un approfondissement du sens qu’ils portent déjà à la Souffrance, la Passion, la Mort et la Résurrection du Christ, tandis que d’autres y viennent simplement pour le spectacle. Les uns y sont pour y approfondir le sens de leur croyance et d’autres pour y passer un bon moment. Mais il reste que ce « Jeu de la souffrance, la mort et la résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ » garde son sens profond à travers les couleurs et textures qui en encadrent le sens séminal et essentiel. Quelle que soit sa motivation à se rendre à cet événement, chacun y tirera ses conclusions et en ressortira enrichi ne serait-ce que du questionnement qu’il provoque.
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Mark Langlois
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N.B : Dans le cadre cet événement spécial, Mark Langlois accompagnera le pèlerinage suivant avec Spiritours: «Oberammergau – Le Jeu de la Passion» en Allemagne et Autriche du 5 au 13 septembre 2022